Cet article de Patricia Genoud à été publié par le magazine regardboudhiste en Juillet 2018.
Vous pouvez-télécharger l’original ici : voir l’original

Quand on lui posait des questions philosophiques, le Bouddha répondait le plus souvent : « J’enseigne une
seule chose, c’est il y a de la souffrance et il y a une fin à la souffrance. C’est cela qui m’intéresse et c’est
le chemin que je propose. » Le chemin est ainsi défini par le Bouddha dès son premier sermon. Patricia
Genoud, enseignante du Dharma, nous explique que regarder, s’intéresser, voir où se situe cette souffrance,
cette insatisfaction, tel est le chemin qui nous permet de nous en libérer.

Il ne suffit pas de lire le texte de ce premier sermon, où le Bouddha énonce les quatre Nobles Vérités, mais il faut goûter à cette aventure en pratique. Vérité signifie ce qui permet de voir ; noble parce que cela mène à la liberté : ce sont des vérités qui nous conduisent noblement à percevoir ce qui mène à la liberté.

La première noble vérité est la compréhension de la vérité de la souffrance, dukkha en pali. Pour résumer on peut dire que les phénomènes conditionnés sont insatisfaisants car ils sont instables : les choses changent, et comme elles changent on ne peut pas avoir un contrôle sur la réalité. Il faut comprendre cette vérité et l’intégrer comme réalité. Le chemin est réaliste, il n’est pas pessimiste. Aujourd’hui on parle beaucoup du stress. Le stress, c’est une très bonne traduction de dukkha. Les choses n’étant pas parfaites, elles deviennent stressantes, et en plus elles sont imprévisibles.

Plutôt que d’aller dans le sens de l’évitement, il faut plutôt se rendre compte vraiment profondément de la réalité.

Au début on fait tout ce qu’on peut pour la changer, et petit à petit on se rend compte qu’il est peut-être plus judicieux d’essayer de la comprendre, et de développer cet intérêt : comment voir les choses comme elles sont pour aller dans le sens de plus de liberté, plutôt que de constamment essayer d’avoir des stratégies qui finalement ne fonctionnent pas vraiment. Cette proposition a une profondeur inimaginable pour nous apporter cette liberté intérieure, et cela prend toute son ampleur au fil du temps. On réalise peu à peu que c’est la manière dont on se positionne, qui peut être nommée saisie ou identification, qui crée le plus grand stress. Et qu’il y a une autre manière d’être présent, qui est différente.

Par exemple quand on juge les expériences, qu’on juge que ça ne va pas, que ça devrait être autrement :

le jugement dit « cela ne devrait pas arriver », et la sagesse dit « cela arrive, les choses sont comme elles sont ».

Comment puis-je me positionner quand cela arrive, plutôt que d’être dans l’aversion ou me perdre dans la résistance ?

La deuxième Noble Vérité est la cause de dukkha, qui est donc la saisie, tanha en pali. On le traduit souvent par désir-attachement mais cela signifie en réalité soif : il n’y a jamais de fin à la soif, on aura toujours besoin de boire. C’est un désir de l’ordre de l’avidité, on le reconnaît car il y a l’agitation, l’insatisfaction, on est en déséquilibre lorsque ce désir est présent. Cela n’a rien à voir avec une autre forme de désir qui en pali s’appelle chanda, qui est le désir-aspiration qui me conduit à pratiquer, à chercher une libération de la souffrance, à vouloir le bien pour les autres. Il ne s’agit donc pas de détruire tout désir, mais il faut bien remarquer la différence entre ces deux formes. Si c’est basé dans l’ego il y a avidité, l’égo ne se satisfait jamais de ce qu’il a. Deux mille six cents ans après le Bouddha, le monde montre encore davantage cette réalité que du temps du Bouddha : à quel point il n’y a pas de fin à cet état mental, et combien il est douloureux, non seulement pour la personne elle-même, mais, du fait de l’interdépendance, pour les autres aussi. Effectivement on arrive à obtenir des choses, et donc on est satisfait pendant un moment, mais combien de temps ? Quand on commence à percevoir cela, cela devient vraiment fascinant de remarquer ce mouvement.

Ce que le Bouddha nous propose, c’est, au lieu d’aller vers, de rechercher quelque chose qui nous épuise, plutôt prendre conscience du désir.

Ceci demande une très grande attention, car c’est aller à contre-courant de la proposition du monde pour faire marcher le système économique en particulier : acheter, acheter, acheter.

Cette quête de la vérité est extraordinaire. Ce n’est pas une amnésie qui fait que l’on se retrouve dans un présent éternel ; il n’y a pas une pensée magique qui va tout résoudre. Mais c’est un chemin qu’on peut parcourir petit à petit, pour percevoir où exactement se situent le bien-être, l’apaisement, et à quel point le mode d’addiction est déséquilibrant et épuisant. L’apaisement vient naturellement lorsqu’on perçoit le désir-attachement ou l’aversion ou la confusion de manière claire, et qu’on ne saisit pas. Ceci ne vient pas des conseils extérieurs, il ne suffit pas de recevoir cet enseignement, mais il faut le mettre en pratique. C’est la seule source de compréhension véritable que l’on a pour pouvoir découvrir cet autre élément : ouverture et paix intérieure. Et ceci ne veut pas du tout dire ne plus désirer vivre, se priver, mais c’est le chemin du milieu, c’est de cela qu’il s’agit quand on parle du sentier octuple. C’est la troisième Noble Vérité de la liberté basée sur le chemin du milieu : un moyen terme au niveau de notre attitude. Ce bonheur est accessible, on peut y goûter. À chaque fois que nous sommes en accord avec les choses telles qu’elles sont et qu’on découvre l’espace que l’on habite, et bien on va naturellement ressentir cette liberté.

La quatrième Noble Vérité est donc le sentier octuple, c’est-à-dire qu’il a 8 branches, regroupées en trois corbeilles qui sont tout aussi importantes les unes que les autres. Une de ces corbeilles est le chemin méditatif, qui comprend l’effort juste, l’attention juste et la concentration juste. « Juste » est dans le sens de favorable, approprié (et non pas le contraire de faux), c’est-à-dire qui mène à une conduite en harmonie avec autrui. C’est très vaste et cela comporte tous les aspects de la vie. Ensuite il y a la conduite juste, ou le comportement éthique, celui qui mène à quelque chose de favorable, avec trois aspects : la parole juste, les moyens d’existence juste et l’action juste. La troisième corbeille est la sagesse.

Le chemin associe la sagesse intuitive qui émane de l’aspect personnel de l’expérience, et la sagesse impersonnelle. C’est ce qu’on appelle parfois relatif et absolu, ou les deux vérités. Dans l’aspect personnel, l’expérience et sa compréhension proviennent de notre histoire personnelle, de nos habitudes, et on éclaire cette dimension de manière très franche en y portant la pleine conscience. On peut ainsi en un instant libérer une croyance que l’on avait sur un élément de notre expérience. La vérité absolue se situe également au niveau de l’expérience  : on fait l’expérience profonde de la nature de la réalité qui touche tous les êtres. Par exemple tous les êtres vont faire l’expérience de l’impermanence, du changement, tous les êtres on fait l’expérience de la naissance, tous les êtres vont faire l’expérience de la vieillesse et de la mort. Donc on perçoit la réalité à ces deux niveaux et on chemine avec cette réalité, on la comprend de plus en plus profondément.

Quand on parle de la clarté intérieure, de cette vision pénétrante, on inclut toujours cette connaissance intuitive : on cherche à être pleinement conscient pour comprendre.

Dans un chemin de méditation qui va vers la liberté inconditionnelle, la pleine conscience n’est pas une fin en soi.

Ce n’est qu’un aspect. C’est ce qui fait la différence entre un chemin vers le mieux-être, la résolution d’un problème par exemple, et un chemin qui mène à une liberté au-delà des conditions. Cette présence méditative que nous pratiquons d’instant un instant conduit à la liberté. La pleine conscience n’est qu’une branche du chemin.

Le chemin signifie aller dans le sens de la paix plutôt que dans le sens du conflit, intérieurement et extérieurement.

Nous faisons l’effort de nourrir les qualités favorables que l’on a à disposition, et d’amoindrir les perturbations mentales qui ne cessent de nous habiter, contre lesquelles on lutte la plupart du temps. C’est le chemin de la non-saisie. Moins il y a d’identification, plus il y aura de clarté et moins il y aura de perturbations intérieures.

La corbeille de la sagesse intuitive comprend deux aspects : la compréhension juste, voir la nature des choses dans la réalité, c’est ce qu’on appelle vipassana  ; et l’intention juste. L’intention a 3 aspects : renoncer à ce qui nuit à nous-mêmes et ce qui nuit à autrui ; développer ce qui est bénéfique (c’est le développement de metta, la bienveillance) ; développer la non-violence, qui s’exprime sous forme de la compassion. Chacune des branches de ce chemin va faire croître et grandir les autres : ce ne sont pas des éléments séparés, mais ils constituent bien un chemin.

La sagesse se développe ainsi au fil du temps : chaque fois que l’on est en opposition, que l’on ne veut pas être réceptif, on ressent très clairement le manque de liberté. C’est vécu, c’est goûté.

Cette quatrième Noble Vérité du chemin permet une prise de conscience qui se développe peu à peu : une pratique méditative régulière nourrit notre manière de pouvoir être en relation plus harmonieuse avec les autres, avec le monde.

Ceci est basé sur deux types d’intention. Le premier est l’intention basée sur la sagesse, le renoncement à ce qui nous nuit, cultiver la bienveillance et la compassion. L’autre aspect est ce qu’on appelle cetana, qui existe avant chaque action du corps, de la parole et de la pensée. Avant toute action, quelle qu’elle soit, il y a une intention. Ça va tellement vite que c’est très diffcile à percevoir, mais petit à petit on va pouvoir l’intégrer grâce à la pleine conscience. Pratiquement on peut s’entraîner à percevoir par exemple l’intention de se lever de son siège : qu’est-ce qui provoque ce changement de position ? Quand on développe cette perception des intentions, il y a la possibilité de faire une pause plutôt que d’être immédiatement dans la réaction. Et donc de répondre, plutôt que de réagir par la violence en face de la violence par exemple. Cela ne veut pas dire être résigné, mais répondre d’un espace de clarté, de sagesse et d’équilibre. L’intention joue un rôle capital, et si on en prend conscience, cela devient vraiment très intéressant de travailler sur cet aspect-là, et de ressentir l’effet que ceci a sur notre état de conscience. Dans l’enseignement il est dit qu’il est mieux de nuire consciemment qu’inconsciemment. Si on est présent, on se rendra compte du résultat, alors que si on agit par confusion, on n’a même pas l’idée que l’on peut peut-être nuire. Ainsi il y a de grandes chances que l’on reproduise cet acte, et que ceci devienne une habitude. La qualité de présence s’inscrit dans un chemin qui va dans le sens favorable. L’attention étant plus stable, on se rend compte lorsqu’on est agi par le désir-attachement, l’aversion, ou la confusion. Au début on ne le voit qu’après coup, mais peu à peu, avec la pratique, cela se fait dans l’instant présent, permettant donc de faire des choix plus judicieux.

L’intention peut être cultivée de façon très concrète. Par exemple chaque matin, en se levant, on peut décider d’agir dans le monde en générant le moins de souffrance pour soi-même et pour autrui ; et ensuite essayer de vivre par rapport à cette intention. Parfois on y arrive, parfois pas. Le fait même d’avoir une intention bénéfique nourrit la présence. Et cela demande d’avoir une certaine modestie, vu la lenteur du résultat. C’est magnifique de pouvoir se dire que l’on est un être humain, que l’on fait du mieux que l’on peut, c’est le cheminement.

La modestie appelle la bienveillance : lorsqu’il y a de la souffrance, plutôt que de se juger, on en appelle à la bienveillance et à la compassion, qui sont deux aspects de l’intention.

Et il y a alors cette grande appréciation pour le chemin : pouvoir être dans l’acceptation plutôt que de nourrir la répulsion.

On a envie d’un résultat rapide, surtout aujourd’hui où tout va tellement vite. Dans notre expérience humaine, on se rend compte qu’il ne s’agit pas d’appuyer sur un bouton, mais qu’un temps est nécessaire, c’est un rythme organique. Il y a une dimension de responsabilité dans le chemin qui nous invite à prendre notre vie en main. Peut-être qu’il y a de la lenteur, mais par moments on se rend compte de tout le chemin parcouru, et on apprécie les moments de clarté, d’apaisement et de tranquillité. Sur le chemin du milieu, on apprécie ce qui a été accompli aussi bien que ce qu’il reste à faire.

X