Exposé donné au Centre Vimalakirti, le 9 avril 2013 par Joseph Goldstein.
Traduction,  Sylvia Ladame.

 

D’habitude,   à l’occasion   de ces causeries   en soirée, j’aurais   préparé un exposé de  Dharma et donnerais une allocution  plus formelle. Mais ce soir, je n’ai  rien préparé.

J’ai   pensé que   j’allais juste   parler de quelques   principes ou idées concepts   des enseignements bouddhiques et,  peut-­‐être, comment ils se relient  entre eux. Nous verrons si tout cela prend  forme ou pas. Il y aura ensuite un moment pour  vos éventuelles questions ou un moment de discussion.  

Je   pense   qu’une des   compréhensions  fondamentales les   plus importantes des   enseignements bouddhiques  concerne ce à quoi nous  nous référons comme la Loi ou  la Vérité du karma, qui signifie   que nos actions, qu’il s’agisse  des actions de notre corps, de notre   parole ou de notre esprit, entraînent des   résultats. Ces enseignements sur le karma peuvent   devenir très compliqués. Il y a beaucoup de discours  philosophiques sur ce sujet, sur la façon dont tout cela se  joue et ce que cela signifie. Mais je pense que pour nous,   nous pouvons le comprendre de manière immédiate et pratique. Et   c’est en comprenant que ce que nous faisons, comment nous le faisons,   notre façon d’agir, notre façon de parler, a un effet non seulement sur les autres  personnes, mais aussi sur notre propre esprit. Ainsi nous créons, d’instant en  instant, notre propre environnement intérieur, l’environnement même dans lequel nous vivons.  

Quand  nous comprenons  cela, nous commençons  à devenir plus responsables  de nos actions, de nos paroles,  de nos pensées, de ce à quoi nous  choisissons de consacrer de l’énergie,  de ce que nous décidons d’abandonner, car  nous réalisons que notre bonheur dépend de cette  conscience.

Vous  connaissez  certainement  Thich Nhat Han,  ce Maître Vietnamien,  Maître Zen de Méditation  en pleine conscience. Il   a eu une expression magnifique,   il a dit : « Le bouddhisme est   une façon intelligente de jouir de l’existence,  le bonheur est à disposition, alors servez-­‐vous !  »

Le  Bonheur  est à disposition  et nous pouvons nous  en procurer, si nous avons  conscience de ce que nous faisons.  Si nous sommes attentifs aux sortes de  pensées qui jaillissent dans nos esprits,  si nous sommes attentifs à nos paroles, si  nous sommes attentifs à nos actions. Et le Bouddha  a expliqué très simplement, afin que nous le comprenions,  ce qui conduit au bonheur et ce qui conduit à la souffrance.   Vous connaissez probablement les trois racines bénéfiques dont   il a parlé. Les trois racines bénéfiques de l’esprit. Toutes ces  actions qui apportent le bonheur sont l’absence d’avidité ou la générosité,    l’absence de haine ou l’amour, l’absence de confusion ou la sagesse.

Et  les trois  racines d’action  qui amènent la souffrance  sont exactement l’inverse et  sont les actions d’avidité, de  haine et de confusion.

Ainsi  notre tâche  consiste à être  suffisamment attentifs  pour nous rendre compte  de ce que nous faisons,  des qualités mentales que nous  cultivons réellement.

Pour  distinguer  si quelque chose  est habile ou ne l’est  pas, le point de référence est  très subtil.

 

 

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Le  point  de référence  est la motivation  derrière l’action. Il  est dit dans certains enseignements  que tout repose sur la pointe de la  motivation. C’est dire à quel point cette  qualité est importante. Ainsi, avant de parler,  quel est notre motif, quelle est notre motivation  pour parler ? Avant d’agir, ou dans nos pensées, quelle  est la motivation ?

Cela  peut être  subtil, souvent  nos motivations sont  embrouillées. Vous savez,  une action peut être ou bien  complexe, ou cachée et nous pouvons  tout d’abord ne pas savoir réellement  quelle est notre motivation. Il faut   donc une volonté, il faut un intérêt   et parfois il faut du courage, une réelle   honnêteté pour voir « OK qu’est-­‐ce qui se passe ici  ? »

Si  nous  nous engageons  dans un acte de  générosité, vient-­‐il  d’un endroit pur ? De  don, d’amour, de compassion.  Est-­‐ce peut-­‐être mélangé avec  le désir d’approbation, de vouloir  de l’amour, de penser « Oh, si je  suis généreux -­‐ se cela entraînera un  bon résultat karmique, et je recevrai beaucoup  en retour. »

Il  peut  ainsi y  avoir beaucoup  de motivations diverses,  même dans une action toute  simple.

Cela  ne devrait  pas nous décourager;  c’est juste comme ça pour  la plupart d’entre nous. Le  défi le plus important est,   je pense, de regarder honnêtement   ce qui est là, puis de mettre l’accent   sur l’aspect bénéfique. D’autres aspects peuvent exister,  ils peuvent être présents, mais nous pouvons insister ou donner  la préséance au motif qui est réellement le plus pur.

Je   vais  partager   avec vous   une histoire   un peu embarrassante   sur mes tout premiers   jours d’enseignement. J’étais  encore en Inde , je n’étais pas  réellement un enseignant, mais, durant  les mois d’été, avec un grand groupe d’amis  du dharma, nous allions dans les montagnes quand  il faisait très chaud en plaine. Et, Munindraji, mon  premier enseignant du dharma, m’encouragea à donner un petit   exposé sur le dharma, une fois par semaine, au groupe  d’amis présents. Ainsi, une fois par semaine nous nous rencontrions   tous, le motif était assez, assez pur. J’aimais profondément le Dharma  et souhaitais le partager. Mais je remarquai, chaque semaine, que je comptais le  nombre de personnes qui venaient. « Oh cette semaine 10 personnes sont venues. La  semaine prochaine … 12 ». C’était tellement intéressant, j’observais simplement mon  esprit qui le faisait, je ne lui demandais pas de le faire, il le faisait simplement  de lui-­‐même. Aussi je ne me suis pas inquiété du fait que mon esprit faisait cela, je  ne me jugeais pas ni ne me blâmais, mais je pouvais en être conscient « Ah oui c’est cette   partie de l’esprit qui cherche à… » Je ne sais pas ce qu’il pouvait bien chercher…   et ensuite, je pouvais simplement donner le petit exposé sur le dharma, et c’était bien. Le motif était   alors purifié par l’acte même de parler du Dharma. Il s’agit seulement d’une petite leçon précoce sur le fait  que souvent nos motifs sont mélangés et que ce n’est pas un problème, l’important étant que nous ne nous leurrions  pas et que nous soyons simplement honnêtes lorsque nous voyons « Ok cette partie est ici, cette partie est là »  et que nous agissions à partir du point le plus bénéfique, du mieux que nous pouvons.

Ce   qui est   si étonnant   au sujet de  la pratique du   dharma et des enseignements,   c’est que, en cultivant les aspects  les plus bénéfiques, notre esprit devient  réellement plus heureux, plus léger. Un exemple   de cela, est lorsque nous pratiquons les brahmaviharas,   les sentiments d’amour, de compassion, de joie empathique et d’équanimité.    

 

 

 

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Le  sentiment  de Mettà, le  sentiment d’amour  bienveillant, amène  une telle qualité de  légèreté et d’amabilité  à notre façon de nous relier  aux autres! Je pense qu’un petit  problème peut surgir, tout au moins  dans la traduction anglaise d’amour bienveillant,  et j’ai vu cela au cours des années. Quand nous  parlons d’amour bienveillant, les gens mettent parfois  l’accent sur l’aspect amour. Je ne sais pas comment cela  se traduit en français, mais le mot en anglais (love), amour,  juste 5 lettres, est un mot immense ! Vous savez, l’amour, et  ce qu’il signifie; il contient tant de projections et d’idées et de   phantasmes. Très souvent, les gens pensent « Oh, je n’aime pas assez »  et cela peut parfois devenir un empêchement ou un obstacle pour le pratiquer  réellement. Nous ne sommes même pas sûrs de ce qu’il est dans sa forme pure.    

 J’aime  mettre l’accent  sur l’aspect bienveillant  de Mettà. Parce que la bienveillance,  on la ressent comme une qualité terre  à terre. C’est très pragmatique, ce n’est  pas quelque chose là-­‐haut, d’un peu abstrait.  Il s’agit simplement de notre manière d’être avec  les gens, de notre façon de nous relier aux gens  : pouvons-­‐nous pratiquer la bienveillance ? Bienveillants   dans nos paroles, bienveillants dans nos actions ? Donc,  pour moi, c’est très pragmatique, je le ressens comme « Oui, c’est  quelque chose que je peux faire ». Je ne serai peut-­‐être pas capable  d’aimer tout le monde d’une manière vaste et profonde, mais je peux être simplement  bienveillant.

Ainsi   chacun d’entre   nous doit trouver   pour soi-­‐même la manière   de pratiquer qui va réellement   renforcer cette attitude amicale.

Un  des aspects  de mettà, de  cet amour bienveillant,  concerne l’une des causes  qui le font apparaître, ce  qui est en soi un enseignement  intéressant, mais peut faire surgir  beaucoup de questions. L’une des causes  qui font apparaître Mettà est le fait de  voir la bonté chez les gens. Voyant ce qui  est bon chez les gens nous éprouvons naturellement  un sentiment amical.

Certaines  personnes l’entendent,  ou le comprennent, comme  étant un peu faux, un peu  sentimental « Oh nous sommes   supposés toujours voir la bonté   chez les gens » et cela peut être   un peu douceâtre… !

Il  y a  une façon  profonde de  mettre cet enseignement  particulier en pratique, et  cela ne signifie pas que nous  soyons aveugles à la totalité d’une  personne. Lorsque nous sommes avec des  gens, nous voyons parfois de bonnes qualités  et parfois de moins bonnes qualités.

Ce  que le Bouddha  dit ici, c’est que  tout en voyant la totalité  de la personne et en la comprenant,   pouvons-­‐nous concentrer notre attention  sur la partie d’eux-­‐mêmes qui est bonne  ?

Lorsque  nous le faisons,  ce que nous découvrons,  c’est que notre esprit devient  bien moins critique. Ce n’est pas  que nous prétendons « Oh tout le monde  est merveilleux tout le temps » car très  peu de gens le sont.

Ainsi  donc nous  voyons le tout,  mais nous nous concentrons,  nous mettons l’accent, nous donnons   de la valeur à ce qui est bon chez  les gens et cela génère un sentiment amical naturel  et spontané. Voilà, ce sont juste quelques moyens de  mettre en pratique la compréhension que notre esprit va   avoir de l’effet non seulement sur l’autre personne sur notre  propre bonheur. Nous sommes plus heureux quand nous sommes moins  critiques.

 

 

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Le  Dalaï-­‐Lama  a prononcé de  très belles paroles  à ce sujet ; ceci en  soi constitue une grande  pratique. Il a dit qu’il  essaie d’être avec chaque personne  qu’il rencontre, comme s’il était avec  un vieil ami. C’est magnifique ! Pouvez-­‐vous   vous imaginer traiter chaque personne que vous rencontrez,   que vous les connaissiez bien, ou que vous ne les connaissiez pas  bien, comme si elles étaient un vieil ami ? Et pour ceux qui, parmi  vous, ont eu l’occasion de rencontrer Sa Sainteté, c’est exactement ainsi qu’il agit.  Quand vous êtes avec lui, son attention est si complète et entière et concentrée sur   vous, que vous avez le sentiment d’être avec un vieil ami. C’est un sentiment merveilleux !  Ainsi, nous ne sommes peut-­‐être pas encore capables de le faire comme lui, mais c’est une  pratique, si nous nous en souvenons, nous pourrons le cultiver dans la vie.

 Voilà   pour ces   quelques réflexions   afin de comprendre comment   nous pouvons appliquer les enseignements  sur le karma. Considérant que nos actions, les  actions de notre corps, de nos paroles, de notre  esprit, ont un impact. Elles ont un impact sur les  personnes qui nous entourent, mais ce qui est plus important,  elles ont un impact sur nous ; pas seulement sur les autres personnes,  mais sur la façon dont elles affectent notre propre esprit ; ainsi nous  pouvons prendre notre responsabilité.

Une  leçon  importante  de la méditation,  mais aussi une leçon  importante de la vie,  bien que souvent nous ne  l’apprenions pas, est que personne  ne nous fait nous sentir d’une certaine  façon. La manière dont nous nous sentons   par rapport à ce qui arrive dépend de  nous. Les gens peuvent faire des choses blessantes,  et ils peuvent provoquer toutes sortes de troubles dans nos  vies, mais la manière dont nous sommes en rapport avec cela,  dépend en fait de nous.

J’en  ai eu  un exemple,  il y a des années. J’étais  dans une relation et nous avions  une petite dispute, au cours de   la dispute, mon amie se tourne vers   moi et dit : « Arrêtes de me faire ressentir   de l’aversion ! ». J’ai éclaté de rire. Ce qui n’était  pas la chose à faire, j’aurai au moins appris cela ! Mais   ce fut un rappel frappant du fait que nous rejetons souvent   sur les autres la responsabilité de la façon dont nous nous sentons.  Et d’une certaine manière, « S’ils étaient différents, je ne me sentirais pas  comme ça ». Cela nous affaiblit beaucoup. Quand nous réalisons que la manière dont  nous nous sentons dépend de nous, dépend de notre propre attitude et de notre compréhension.  

Le  Bouddha  a donné un  enseignement frappant  à ce sujet. J’aime cet  enseignement parce qu’il est   d’un niveau si élevé qu’il met  réellement l’accent sur le potentiel  existant pour nous. C’était dans le contexte  de la parole juste, mais cela concernait réellement  l’écoute juste.

Le  Bouddha  s’adresse  à un groupe  de moines, à moins  que ce soit un groupe  de laïques, je ne suis pas   sûr, et il dit : « Les gens  peuvent s’adresser à vous de manières  différentes. Ils peuvent vous parler de   façon honnête ou malhonnête. Ils peuvent   vous parler gentiment ou durement. Ils peuvent   vous parler avec un cœur plein d’amour bienveillant ou  ils peuvent vous parler avec un cœur rempli de haine »,  et cela continue sur une longue liste. Puis il dit : « Sans  vous soucier de la manière dont les gens vous parlent, vous devriez  le supporter avec un cœur empli d’amour et de bienveillance, de compassion   pour leur bien-­‐être ». Eh bien, voilà quelque chose ! Imaginez juste   quelqu’un s’adressant à vous et vous mentant ! Il veut vous blesser et il parle  avec colère ! Alors, imaginez juste comment ça peut être ! Et voilà le Bouddha qui  dit : « Sans égard à la manière dont ils s’adressent à vous, vous devriez le supporter  avec un cœur empli d’amour et de bienveillance, concernés pour leur bien-­‐être, avec compassion  » !

Alors  là, quelle  pratique, n’est-­‐ce  pas ?

 

 

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Cette   pratique   se rattache   magnifiquement aux   enseignements du discours   du Satipatthana. Vous savez,  le discours sur les fondements de  l’attention où, de façon régulière à  travers le discours, le Bouddha parle   d’être conscient intérieurement, extérieurement,   et les deux conjointement. Normalement nous savons  ce que signifie être conscient intérieurement. Nous sommes  conscients de nos propres processus. Mais cet enseignement donne  en réalité un exemple sur la manière d’être conscients extérieurement.  

 C’est  ainsi que,  voilà cette personne  qui parle d’une façon  très destructrice. Le choix  est: allons-­‐nous réagir à tout  cela, et peut-­‐être nous mettre nous-­‐mêmes  en colère, ou devenir défensifs ou blessés? Ou  bien pouvons-­‐nous simplement être conscients extérieurement?  Simplement en reconnaissant: “ Cette personne parle durement,  ce que cette personne dit n’est pas vrai ». Nous le voyons bien.  Nous ne prétendons pas que ce n’est pas en train de se passer, mais  nous nous trouvons dans un espace d’équilibre. Nous sommes dans cet espace  où il s’agit simplement d’être conscients de ce qui arrive, et depuis cette   conscience, il est possible de se reposer dans un endroit d’amour bienveillant,   concernés par leur bien-­‐être, sachant et comprenant l’immense souffrance qu’ils sont en train  de créer pour eux-­‐mêmes, par cette manière de parler.

Est-­‐ce  que cela a  un sens pour  vous ? Un enseignement  fort! Ce n’est pas facile  à faire. Mais quand je l’ai  lu j’ai pensé : voilà un défi  vraiment intéressant, à apporter dans  des conversations difficiles, en restant  centrés, avec une compassion authentique.    

Bien,   tout cela   sur la compréhension   du karma comme processus   de création de notre propre   environnement mental intérieur. Vous  savez s’il s’agit d’un environnement de  paix, de bonheur, de bienveillance ou non.    Si nous créons un environnement de colère, de haine,  de mauvaise volonté, de jugement alors, nous réalisons   que cela dépend entièrement de nous, que personne ne   nous fait nous sentir d’une certaine manière.

Voilà  pour ce  petit point.  

Deuxième  petit point…c’est  comme des petites vignettes  de Dharma.

Un  autre  élément  fondamental  des enseignements,  je veux dire, incroyablement  essentiel !

Je  vais  juste vous  raconter une  petite histoire  au sujet… Connaissez-­‐vous  Suzuki Roshi, un Maître zen de  méditation, il a écrit le livre «  Esprit zen, Esprit neuf», il a fondé  il y a bien des années le centre Zen  de San Francisco et il est mort il y a  quelque temps.

Quelqu’un  lui posa une  question, il faisait  un commentaire et dit  : « Roshi, j’ai écouter  vos discours sur le dharma   depuis des années et je n’y   comprends toujours rien. Pouvez-­‐vous   s’il vous plaît m’expliquer le dharma   en deux mots ? Pouvez-­‐vous expliquer très   simplement, afin que je comprenne ? Et Suzuki Roshi  dit juste deux mots : « Tout change ».

Si  nous  pouvions  réellement  comprendre ces  deux mots, nous  comprendrions tout  le dharma…Cette vérité  de l’impermanence a tant d’implications  profondes.

Nous  lisons  souvent dans  les soutras, dans  les discours, des textes  dans lesquels le Bouddha dit  : » tout ce qui a la nature  d’apparaître va également disparaître  ». Et souvent, des gens ont atteint l’éveil   en entendant juste cette phrase.

 

 

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Alors  je vais  la répéter…C’est  votre opportunité !  « Tout ce qui a la  nature d’apparaître, va  également disparaître ».  

Qu’est-­‐ce  qui a la nature  d’apparaître ? – Tout  !

Ce  qui est  intéressant  à ce sujet,  c’est que sur  un plan conceptuel,  nous le savons tous.  Il ne s’agit pas d’un  enseignement mystérieux. Vous  pouvez aborder n’importe qui dans  les rues de Genève et dire : « Est-­‐ce  que les choses changent ? » Tout le monde répondra  oui, ce n’est pas un mystère.

Mais  nous le  savons intellectuellement,  profondément, mais nous ne  vivons pas réellement à partir   de cette compréhension. Parce que  si nous vivions réellement à partir  de cette compréhension, nous ne serions  pas en train de nous cramponner à quoi que  ce soit, nous ne saisirions pas les choses.

Qu’est-­‐ce  qui se passe  quand nous nous  accrochons à quelque  chose qui, par sa nature  même, va changer ?

 Plus  nous nous  cramponnons,  plus nous souffrons.  C’est tellement évident.  

Si  nous  nous accrochons  à la jeunesse ?  Comment nous sentons-­‐nous  lorsque nous vieillissons ? Si   nous nous accrochons à la santé  ? Comment nous sentons-­‐nous lorsque   nous tombons malade ? Cela ne veut pas dire  que nous ne devrions pas prendre soin de notre santé,  mais, comme tout le reste, ces conditions vont changer.  Ainsi le corps va vieillir, le corps va tomber malade, le  corps va mourir.

Plus  nous nous  cramponnons à  ce qui change et  plus nous souffrons.  

Ainsi   donc notre   pratique consiste,   en quelque sorte, à   apprendre à percevoir réellement   le changement. Pas simplement de savoir  que les choses changent. C’est quand nous  voyons la nature changeante directement, dans   notre expérience, que s’effectue la vraie transformation   de nos esprits et l’approfondissement de la sagesse. C’est ce  qui constitue, en grande partie, la pratique de la méditation.

Vous  savez,  au début,  lorsque nous  commençons, il  s’agit juste de  calmer l’esprit et  d’une certaine façon  de rassembler l’attention,  de se poser, de devenir un  peu paisible.

Mais  Vipassana,  la pratique  de la présence  attentive, débute  réellement lorsque nous  commençons à voir comment  les choses apparaissent et disparaissent,  d’un moment à l’autre.

Et  nous  pouvons  voir cela  à plusieurs  niveaux. Il y  a quelque chose  que j’appelle « NPM’s  » qui est “ Noticings  Per Minute”, remarques ou  notes par minute.

Bon,  nos NPMs  sont tout d’abord  assez basses. Nous avons  peut-­‐être 5 NPM’s ou 10  NPMs ; nous pouvons remarquer   5 ou 10 choses différentes par   minute. Mais tandis que notre pratique   s’approfondit , que notre conscience se renforce  et que nous nous occupons des choses avec soin, les   NPM’s augmentent et l’on peut commencer à distinguer les  objets apparaissant et disparaissant, si rapidement, et l’on  voit réellement la momentanéité de chaque phénomène.

Il   en va   de même  pour quelque   chose d’aussi simple   que d’entendre un son   (le son du gong). Abordez   une personne dans la rue :  « Qu’avez-­‐vous entendu ? » -­‐   « Oh c’est juste le son d’une cloche  ». Mais, pour un méditant, tant de vibrations   différentes, de nuances ? Des centaines, des

 

 

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milliers  de choses  se passent.  Et cela, si nous  sommes attentifs, si  nous portons réellement  toute notre attention, nous  pouvons l’entendre, nous le savons.  

La  même  chose se  passe avec  la respiration.  Nous pouvons penser  que la respiration «  Oh inspirer, expirer »,   deux choses, deux « notes  ». Dans une inspiration, combien   y a-­‐t-­‐il de sensations différentes  ? Dans une expiration ? Voyez-­‐vous ce que  je veux dire ? Dans une expiration. Ou dans un   pas, un pas n’est pas juste une chose. Beaucoup, beaucoup  de choses se passent.

C’est  ainsi que,  en portant notre  attention avec soin,  nos esprits commencent  à s’ouvrir à la rapidité   du changement, des phénomènes  et notre sens de nous –mêmes devient  bien moins solide, moins fixe. N’ est-­‐ce  pas ?

La  plupart  d’entre nous  avons une idée  assez fixe, un concept,  de qui nous sommes. C’est  comme…il y a cette histoire  de quelqu’un qui se lève le matin  et se regarde dans le miroir : « Ouais,  c’est moi ! » Parce que nous reconnaissons  l’image et « Oui, c’est moi, ça c’est qui je  suis » ! Mais lorsque nous observons le processus,   esprit, corps, particulièrement en méditation quand nos   esprits sont très concentrés, mais aussi le long de la journée.  Quand nous observons avec soin, nous voyons tant de sensations, de pensées,  d’émotions, de sons et de visions apparaître et disparaître constamment! Il se  passe tant de choses ! Alors cette illusion de solidité commence à se briser un petit  peu.

Et  ceci  conduit  au troisième  aspect des enseignements.  Il vient de notre perception  du changement de plus en plus  fine.

Il  ne s’agit  pas d’y penser,  mais de le percevoir.  Percevoir réellement le changement  à un niveau de plus en plus fin,  devient la porte à la compréhension de  ce qui est peut-­‐être l’aspect le plus difficile   des enseignements du bouddhisme : l’enseignement sur   l’absence de soi. Lorsqu’il s’agit de l’impermanence, ce  n’est pas très difficile à comprendre, même si on ne la voit  pas clairement en tout temps. La vérité de la souffrance  n’est pas si difficile à comprendre, nous en avons tous l’expérience.  Mais les enseignements sur l’absence de soi, sur anatta, sont difficiles à comprendre,  ils ne correspondent pas à notre vue commune de nous-­‐mêmes ou du monde. Cela exige donc  vraiment davantage d’investigation pour comprendre : « Ok, de quoi parle le Bouddha,   lorsqu’il parle de comprendre l’absence de soi? » … Cela, comme vous le savez, pourrait   faire l’objet de beaucoup, beaucoup de cours de Dharma. Alors, en quatre minutes…

Juste   quelques   mots sur  ce sujet qui,   de nouveau, ne seront   peut-­‐être que des graines   pour une réflexion plus approfondie.  

Tout   d’abord,   il est important   de comprendre qu’il   ne s’agit pas de nous   débarrasser de quelque chose  qui est là.

Ce  que le  Bouddha dit  c’est que la  notion de soi,  depuis le début,  est un concept, est  une idée. Et ainsi, en  comprenant l’absence de soi,  nous nous libérons simplement de  la prison de ce concept particulier.  

Il  y a  un exemple  que j’utilise  depuis quarante  ans… mais vous  êtes une nouvelle audience  !

 

 

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Je   ne suis   pas sûr de   la terminologie,   quelqu’un parmi vous   devra m’aider. En anglais,   il y a la constellation que  nous appelons « the Big Dipper »,  je ne sais pas ce que c’est en français  – réponse : « La Grande Ourse ». Ok, c’est  ainsi que ça se traduit ? Bien,( je dirai « the  Big Dipper »).

Alors  voilà la  question que  je vous pose :    Y a-­‐t-­‐il réellement  une Grande Ourse dans le  ciel ? – Il n’y a pas de  Grande Ourse !

Ce  qui se  passe, c’est  que nous regardons  le ciel, nous voyons  cette constellation très  apparente, très facile à   reconnaître, alors nous lui   donnons un nom « Grande Ourse  » et ce concept sépare ces étoiles  de toutes les autres étoiles dans le ciel.  

La  notion  du soi,  le concept  du soi, de Joseph,  est comme « la Grande  Ourse ».

 

Il  y a  un schéma,  il y a « les  éléments », tous  les éléments de l’esprit  et du corps. Vous savez, les   éléments corporels, les pensées et  les émotions – tous ces éléments sont  comme les étoiles de la constellation. Être  un certain schéma et ce schéma est consistant  et nous pouvons le reconnaître. Oui, c’est Joseph,  cela suit certaines lois. Mais il n’y a pas de « chose  » en soi, tout comme il n’y a pas de Grande Ourse, il  n’y a pas de Joseph, il n’y a pas de soi, à part le schéma  qui est là.

Voici  quelques  questions de  suivi : la prochaine  fois que le ciel sera  clair, sortez de nuit et  voyez s’il est possible de   ne pas voir la Grande Ourse.   C’est vraiment difficile. Nous avons   été tellement conditionnés à voir d’une   certaine manière, c’est vraiment dur de ne   pas la voir. Mais si nous pouvons relâcher,…attachement   est un mot un peu trop fort pour la Grande Ourse, mais   si nous pouvons juste relâcher un peu ce conditionnement sur la manière  de voir la Grande Ourse, qu’arrive-­‐ t-­‐il ? Nous voyons alors le ciel entier,  non séparé.

 

Nous  parvenons  à relâcher  un peu le concept  du soi, de Joseph, mais,  nous continuons à l’utiliser,  sur un plan relatif, nous agissons  encore et nous établissons des rapports  entre individus, comme des sois, les uns  aux autres. Donc sur un plan relatif tout reste  pareil. Mais si nous comprenons, sur un plan plus  profond, que le soi, ou Joseph, est un concept tout  comme La Grande Ourse est un concept, il y a alors bien  plus de fluidité dans nos vies, nous ne sommes plus prisonniers  de l’image de soi, du concept de soi, et il y a alors plus de  créativité, plus d’aisance.

En  utilisant  simplement l’image  de la Grande Ourse,  nous comprenons qu’il n’y  a en réalité pas de Grande   Ourse, mais y a-­‐t-­‐il quoi   que ce soit de changé dans le   ciel ? Les étoiles ont-­‐elles soudainement  disparu ? – Non ! tout est parfaitement identique.  Tout est comme ça l’a toujours été.

Simplement  nous ne recouvrons  pas ces étoiles-­‐là  d’un concept, mais rien  ne change.

Il  arrive  parfois,  lorsque les  gens entendent  ces enseignements  sur l’absence de soi,  qu’ils soient un peu effrayés  ! »Oh pas de soi ! Vais-­‐je juste  disparaître, dans une volute de fumée ?  »

Rien  ne change.  Tout est exactement  comme ça l’a toujours  été, excepté que nous le  voyons et le comprenons plus  clairement. Et dans cette clarté  il y a moins d’attachement à la notion  du soi, même si nous l’utilisons encore par  convention, mais nous n’y sommes pas si attachés,  et y étant moins

 

 

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attachés,   il y a moins   de saisie de tous   les phénomènes changeants   que nous appelons le soi.   Et moins il y a d’attachement et  de saisie, moins nous souffrons.

Et  c’est  ainsi que  le bonheur est  à disposition, s’il  vous plaît, servez-‐vous.  

Ok,  je pense  que ça va  conclure tout  cela.

Nous   voulons   juste commencer   par la compréhension   du karma qui signifie   que les actions dans lesquelles   nous nous engageons, par le corps,   par la parole et par l’esprit, et particulièrement   les motivations, qui influencent les actions, amènent des résultats,  créant notre environnement mental. Elles créent ce monde intérieur que  nous habitons. Dans quel genre de monde voulons-­‐nous vivre ? Cela dépend  entièrement de nous!

Nous   commençons   à apprécier   comment le passage   à une compréhension plus   approfondie du dharma est au   travers de la perception directe   du changement ; que toute chose a   la nature de changer. Tout ce qui apparaît  va disparaître – Plus nous voyons cela, moins nous  nous cramponnons. Moins nous nous cramponnons, plus  nous commençons à voir avec clarté l’absence de soi de  tout ce processus. Et cela constitue tout le chemin de l’éveil,  du réveil des illusions, du réveil de l’ignorance. Et nous arrivons   à ce que le Bouddha appelait le bonheur le plus élevé, qui est   la paix. Nous commençons véritablement, de façon progressive, à l’ expérimenter  de plus en plus dans nos vies.

 

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