Exposé donné au Centre Vimalakirti, le 9 avril 2013 par Joseph Goldstein.
Traduction, Sylvia Ladame.
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D’habitude, à l’occasion de ces causeries en soirée, j’aurais préparé un exposé de Dharma et donnerais une allocution plus formelle. Mais ce soir, je n’ai rien préparé.
J’ai pensé que j’allais juste parler de quelques principes ou idées concepts des enseignements bouddhiques et, peut-‐être, comment ils se relient entre eux. Nous verrons si tout cela prend forme ou pas. Il y aura ensuite un moment pour vos éventuelles questions ou un moment de discussion.
Je pense qu’une des compréhensions fondamentales les plus importantes des enseignements bouddhiques concerne ce à quoi nous nous référons comme la Loi ou la Vérité du karma, qui signifie que nos actions, qu’il s’agisse des actions de notre corps, de notre parole ou de notre esprit, entraînent des résultats. Ces enseignements sur le karma peuvent devenir très compliqués. Il y a beaucoup de discours philosophiques sur ce sujet, sur la façon dont tout cela se joue et ce que cela signifie. Mais je pense que pour nous, nous pouvons le comprendre de manière immédiate et pratique. Et c’est en comprenant que ce que nous faisons, comment nous le faisons, notre façon d’agir, notre façon de parler, a un effet non seulement sur les autres personnes, mais aussi sur notre propre esprit. Ainsi nous créons, d’instant en instant, notre propre environnement intérieur, l’environnement même dans lequel nous vivons.
Quand nous comprenons cela, nous commençons à devenir plus responsables de nos actions, de nos paroles, de nos pensées, de ce à quoi nous choisissons de consacrer de l’énergie, de ce que nous décidons d’abandonner, car nous réalisons que notre bonheur dépend de cette conscience.
Vous connaissez certainement Thich Nhat Han, ce Maître Vietnamien, Maître Zen de Méditation en pleine conscience. Il a eu une expression magnifique, il a dit : « Le bouddhisme est une façon intelligente de jouir de l’existence, le bonheur est à disposition, alors servez-‐vous ! »
Le Bonheur est à disposition et nous pouvons nous en procurer, si nous avons conscience de ce que nous faisons. Si nous sommes attentifs aux sortes de pensées qui jaillissent dans nos esprits, si nous sommes attentifs à nos paroles, si nous sommes attentifs à nos actions. Et le Bouddha a expliqué très simplement, afin que nous le comprenions, ce qui conduit au bonheur et ce qui conduit à la souffrance. Vous connaissez probablement les trois racines bénéfiques dont il a parlé. Les trois racines bénéfiques de l’esprit. Toutes ces actions qui apportent le bonheur sont l’absence d’avidité ou la générosité, l’absence de haine ou l’amour, l’absence de confusion ou la sagesse.
Et les trois racines d’action qui amènent la souffrance sont exactement l’inverse et sont les actions d’avidité, de haine et de confusion.
Ainsi notre tâche consiste à être suffisamment attentifs pour nous rendre compte de ce que nous faisons, des qualités mentales que nous cultivons réellement.
Pour distinguer si quelque chose est habile ou ne l’est pas, le point de référence est très subtil.
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Le point de référence est la motivation derrière l’action. Il est dit dans certains enseignements que tout repose sur la pointe de la motivation. C’est dire à quel point cette qualité est importante. Ainsi, avant de parler, quel est notre motif, quelle est notre motivation pour parler ? Avant d’agir, ou dans nos pensées, quelle est la motivation ?
Cela peut être subtil, souvent nos motivations sont embrouillées. Vous savez, une action peut être ou bien complexe, ou cachée et nous pouvons tout d’abord ne pas savoir réellement quelle est notre motivation. Il faut donc une volonté, il faut un intérêt et parfois il faut du courage, une réelle honnêteté pour voir « OK qu’est-‐ce qui se passe ici ? »
Si nous nous engageons dans un acte de générosité, vient-‐il d’un endroit pur ? De don, d’amour, de compassion. Est-‐ce peut-‐être mélangé avec le désir d’approbation, de vouloir de l’amour, de penser « Oh, si je suis généreux -‐ se cela entraînera un bon résultat karmique, et je recevrai beaucoup en retour. »
Il peut ainsi y avoir beaucoup de motivations diverses, même dans une action toute simple.
Cela ne devrait pas nous décourager; c’est juste comme ça pour la plupart d’entre nous. Le défi le plus important est, je pense, de regarder honnêtement ce qui est là, puis de mettre l’accent sur l’aspect bénéfique. D’autres aspects peuvent exister, ils peuvent être présents, mais nous pouvons insister ou donner la préséance au motif qui est réellement le plus pur.
Je vais partager avec vous une histoire un peu embarrassante sur mes tout premiers jours d’enseignement. J’étais encore en Inde , je n’étais pas réellement un enseignant, mais, durant les mois d’été, avec un grand groupe d’amis du dharma, nous allions dans les montagnes quand il faisait très chaud en plaine. Et, Munindraji, mon premier enseignant du dharma, m’encouragea à donner un petit exposé sur le dharma, une fois par semaine, au groupe d’amis présents. Ainsi, une fois par semaine nous nous rencontrions tous, le motif était assez, assez pur. J’aimais profondément le Dharma et souhaitais le partager. Mais je remarquai, chaque semaine, que je comptais le nombre de personnes qui venaient. « Oh cette semaine 10 personnes sont venues. La semaine prochaine … 12 ». C’était tellement intéressant, j’observais simplement mon esprit qui le faisait, je ne lui demandais pas de le faire, il le faisait simplement de lui-‐même. Aussi je ne me suis pas inquiété du fait que mon esprit faisait cela, je ne me jugeais pas ni ne me blâmais, mais je pouvais en être conscient « Ah oui c’est cette partie de l’esprit qui cherche à… » Je ne sais pas ce qu’il pouvait bien chercher… et ensuite, je pouvais simplement donner le petit exposé sur le dharma, et c’était bien. Le motif était alors purifié par l’acte même de parler du Dharma. Il s’agit seulement d’une petite leçon précoce sur le fait que souvent nos motifs sont mélangés et que ce n’est pas un problème, l’important étant que nous ne nous leurrions pas et que nous soyons simplement honnêtes lorsque nous voyons « Ok cette partie est ici, cette partie est là » et que nous agissions à partir du point le plus bénéfique, du mieux que nous pouvons.
Ce qui est si étonnant au sujet de la pratique du dharma et des enseignements, c’est que, en cultivant les aspects les plus bénéfiques, notre esprit devient réellement plus heureux, plus léger. Un exemple de cela, est lorsque nous pratiquons les brahmaviharas, les sentiments d’amour, de compassion, de joie empathique et d’équanimité.
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Le sentiment de Mettà, le sentiment d’amour bienveillant, amène une telle qualité de légèreté et d’amabilité à notre façon de nous relier aux autres! Je pense qu’un petit problème peut surgir, tout au moins dans la traduction anglaise d’amour bienveillant, et j’ai vu cela au cours des années. Quand nous parlons d’amour bienveillant, les gens mettent parfois l’accent sur l’aspect amour. Je ne sais pas comment cela se traduit en français, mais le mot en anglais (love), amour, juste 5 lettres, est un mot immense ! Vous savez, l’amour, et ce qu’il signifie; il contient tant de projections et d’idées et de phantasmes. Très souvent, les gens pensent « Oh, je n’aime pas assez » et cela peut parfois devenir un empêchement ou un obstacle pour le pratiquer réellement. Nous ne sommes même pas sûrs de ce qu’il est dans sa forme pure.
J’aime mettre l’accent sur l’aspect bienveillant de Mettà. Parce que la bienveillance, on la ressent comme une qualité terre à terre. C’est très pragmatique, ce n’est pas quelque chose là-‐haut, d’un peu abstrait. Il s’agit simplement de notre manière d’être avec les gens, de notre façon de nous relier aux gens : pouvons-‐nous pratiquer la bienveillance ? Bienveillants dans nos paroles, bienveillants dans nos actions ? Donc, pour moi, c’est très pragmatique, je le ressens comme « Oui, c’est quelque chose que je peux faire ». Je ne serai peut-‐être pas capable d’aimer tout le monde d’une manière vaste et profonde, mais je peux être simplement bienveillant.
Ainsi chacun d’entre nous doit trouver pour soi-‐même la manière de pratiquer qui va réellement renforcer cette attitude amicale.
Un des aspects de mettà, de cet amour bienveillant, concerne l’une des causes qui le font apparaître, ce qui est en soi un enseignement intéressant, mais peut faire surgir beaucoup de questions. L’une des causes qui font apparaître Mettà est le fait de voir la bonté chez les gens. Voyant ce qui est bon chez les gens nous éprouvons naturellement un sentiment amical.
Certaines personnes l’entendent, ou le comprennent, comme étant un peu faux, un peu sentimental « Oh nous sommes supposés toujours voir la bonté chez les gens » et cela peut être un peu douceâtre… !
Il y a une façon profonde de mettre cet enseignement particulier en pratique, et cela ne signifie pas que nous soyons aveugles à la totalité d’une personne. Lorsque nous sommes avec des gens, nous voyons parfois de bonnes qualités et parfois de moins bonnes qualités.
Ce que le Bouddha dit ici, c’est que tout en voyant la totalité de la personne et en la comprenant, pouvons-‐nous concentrer notre attention sur la partie d’eux-‐mêmes qui est bonne ?
Lorsque nous le faisons, ce que nous découvrons, c’est que notre esprit devient bien moins critique. Ce n’est pas que nous prétendons « Oh tout le monde est merveilleux tout le temps » car très peu de gens le sont.
Ainsi donc nous voyons le tout, mais nous nous concentrons, nous mettons l’accent, nous donnons de la valeur à ce qui est bon chez les gens et cela génère un sentiment amical naturel et spontané. Voilà, ce sont juste quelques moyens de mettre en pratique la compréhension que notre esprit va avoir de l’effet non seulement sur l’autre personne sur notre propre bonheur. Nous sommes plus heureux quand nous sommes moins critiques.
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Le Dalaï-‐Lama a prononcé de très belles paroles à ce sujet ; ceci en soi constitue une grande pratique. Il a dit qu’il essaie d’être avec chaque personne qu’il rencontre, comme s’il était avec un vieil ami. C’est magnifique ! Pouvez-‐vous vous imaginer traiter chaque personne que vous rencontrez, que vous les connaissiez bien, ou que vous ne les connaissiez pas bien, comme si elles étaient un vieil ami ? Et pour ceux qui, parmi vous, ont eu l’occasion de rencontrer Sa Sainteté, c’est exactement ainsi qu’il agit. Quand vous êtes avec lui, son attention est si complète et entière et concentrée sur vous, que vous avez le sentiment d’être avec un vieil ami. C’est un sentiment merveilleux ! Ainsi, nous ne sommes peut-‐être pas encore capables de le faire comme lui, mais c’est une pratique, si nous nous en souvenons, nous pourrons le cultiver dans la vie.
Voilà pour ces quelques réflexions afin de comprendre comment nous pouvons appliquer les enseignements sur le karma. Considérant que nos actions, les actions de notre corps, de nos paroles, de notre esprit, ont un impact. Elles ont un impact sur les personnes qui nous entourent, mais ce qui est plus important, elles ont un impact sur nous ; pas seulement sur les autres personnes, mais sur la façon dont elles affectent notre propre esprit ; ainsi nous pouvons prendre notre responsabilité.
Une leçon importante de la méditation, mais aussi une leçon importante de la vie, bien que souvent nous ne l’apprenions pas, est que personne ne nous fait nous sentir d’une certaine façon. La manière dont nous nous sentons par rapport à ce qui arrive dépend de nous. Les gens peuvent faire des choses blessantes, et ils peuvent provoquer toutes sortes de troubles dans nos vies, mais la manière dont nous sommes en rapport avec cela, dépend en fait de nous.
J’en ai eu un exemple, il y a des années. J’étais dans une relation et nous avions une petite dispute, au cours de la dispute, mon amie se tourne vers moi et dit : « Arrêtes de me faire ressentir de l’aversion ! ». J’ai éclaté de rire. Ce qui n’était pas la chose à faire, j’aurai au moins appris cela ! Mais ce fut un rappel frappant du fait que nous rejetons souvent sur les autres la responsabilité de la façon dont nous nous sentons. Et d’une certaine manière, « S’ils étaient différents, je ne me sentirais pas comme ça ». Cela nous affaiblit beaucoup. Quand nous réalisons que la manière dont nous nous sentons dépend de nous, dépend de notre propre attitude et de notre compréhension.
Le Bouddha a donné un enseignement frappant à ce sujet. J’aime cet enseignement parce qu’il est d’un niveau si élevé qu’il met réellement l’accent sur le potentiel existant pour nous. C’était dans le contexte de la parole juste, mais cela concernait réellement l’écoute juste.
Le Bouddha s’adresse à un groupe de moines, à moins que ce soit un groupe de laïques, je ne suis pas sûr, et il dit : « Les gens peuvent s’adresser à vous de manières différentes. Ils peuvent vous parler de façon honnête ou malhonnête. Ils peuvent vous parler gentiment ou durement. Ils peuvent vous parler avec un cœur plein d’amour bienveillant ou ils peuvent vous parler avec un cœur rempli de haine », et cela continue sur une longue liste. Puis il dit : « Sans vous soucier de la manière dont les gens vous parlent, vous devriez le supporter avec un cœur empli d’amour et de bienveillance, de compassion pour leur bien-‐être ». Eh bien, voilà quelque chose ! Imaginez juste quelqu’un s’adressant à vous et vous mentant ! Il veut vous blesser et il parle avec colère ! Alors, imaginez juste comment ça peut être ! Et voilà le Bouddha qui dit : « Sans égard à la manière dont ils s’adressent à vous, vous devriez le supporter avec un cœur empli d’amour et de bienveillance, concernés pour leur bien-‐être, avec compassion » !
Alors là, quelle pratique, n’est-‐ce pas ?
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Cette pratique se rattache magnifiquement aux enseignements du discours du Satipatthana. Vous savez, le discours sur les fondements de l’attention où, de façon régulière à travers le discours, le Bouddha parle d’être conscient intérieurement, extérieurement, et les deux conjointement. Normalement nous savons ce que signifie être conscient intérieurement. Nous sommes conscients de nos propres processus. Mais cet enseignement donne en réalité un exemple sur la manière d’être conscients extérieurement.
C’est ainsi que, voilà cette personne qui parle d’une façon très destructrice. Le choix est: allons-‐nous réagir à tout cela, et peut-‐être nous mettre nous-‐mêmes en colère, ou devenir défensifs ou blessés? Ou bien pouvons-‐nous simplement être conscients extérieurement? Simplement en reconnaissant: “ Cette personne parle durement, ce que cette personne dit n’est pas vrai ». Nous le voyons bien. Nous ne prétendons pas que ce n’est pas en train de se passer, mais nous nous trouvons dans un espace d’équilibre. Nous sommes dans cet espace où il s’agit simplement d’être conscients de ce qui arrive, et depuis cette conscience, il est possible de se reposer dans un endroit d’amour bienveillant, concernés par leur bien-‐être, sachant et comprenant l’immense souffrance qu’ils sont en train de créer pour eux-‐mêmes, par cette manière de parler.
Est-‐ce que cela a un sens pour vous ? Un enseignement fort! Ce n’est pas facile à faire. Mais quand je l’ai lu j’ai pensé : voilà un défi vraiment intéressant, à apporter dans des conversations difficiles, en restant centrés, avec une compassion authentique.
Bien, tout cela sur la compréhension du karma comme processus de création de notre propre environnement mental intérieur. Vous savez s’il s’agit d’un environnement de paix, de bonheur, de bienveillance ou non. Si nous créons un environnement de colère, de haine, de mauvaise volonté, de jugement alors, nous réalisons que cela dépend entièrement de nous, que personne ne nous fait nous sentir d’une certaine manière.
Voilà pour ce petit point.
Deuxième petit point…c’est comme des petites vignettes de Dharma.
Un autre élément fondamental des enseignements, je veux dire, incroyablement essentiel !
Je vais juste vous raconter une petite histoire au sujet… Connaissez-‐vous Suzuki Roshi, un Maître zen de méditation, il a écrit le livre « Esprit zen, Esprit neuf», il a fondé il y a bien des années le centre Zen de San Francisco et il est mort il y a quelque temps.
Quelqu’un lui posa une question, il faisait un commentaire et dit : « Roshi, j’ai écouter vos discours sur le dharma depuis des années et je n’y comprends toujours rien. Pouvez-‐vous s’il vous plaît m’expliquer le dharma en deux mots ? Pouvez-‐vous expliquer très simplement, afin que je comprenne ? Et Suzuki Roshi dit juste deux mots : « Tout change ».
Si nous pouvions réellement comprendre ces deux mots, nous comprendrions tout le dharma…Cette vérité de l’impermanence a tant d’implications profondes.
Nous lisons souvent dans les soutras, dans les discours, des textes dans lesquels le Bouddha dit : » tout ce qui a la nature d’apparaître va également disparaître ». Et souvent, des gens ont atteint l’éveil en entendant juste cette phrase.
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Alors je vais la répéter…C’est votre opportunité ! « Tout ce qui a la nature d’apparaître, va également disparaître ».
Qu’est-‐ce qui a la nature d’apparaître ? – Tout !
Ce qui est intéressant à ce sujet, c’est que sur un plan conceptuel, nous le savons tous. Il ne s’agit pas d’un enseignement mystérieux. Vous pouvez aborder n’importe qui dans les rues de Genève et dire : « Est-‐ce que les choses changent ? » Tout le monde répondra oui, ce n’est pas un mystère.
Mais nous le savons intellectuellement, profondément, mais nous ne vivons pas réellement à partir de cette compréhension. Parce que si nous vivions réellement à partir de cette compréhension, nous ne serions pas en train de nous cramponner à quoi que ce soit, nous ne saisirions pas les choses.
Qu’est-‐ce qui se passe quand nous nous accrochons à quelque chose qui, par sa nature même, va changer ?
Plus nous nous cramponnons, plus nous souffrons. C’est tellement évident.
Si nous nous accrochons à la jeunesse ? Comment nous sentons-‐nous lorsque nous vieillissons ? Si nous nous accrochons à la santé ? Comment nous sentons-‐nous lorsque nous tombons malade ? Cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas prendre soin de notre santé, mais, comme tout le reste, ces conditions vont changer. Ainsi le corps va vieillir, le corps va tomber malade, le corps va mourir.
Plus nous nous cramponnons à ce qui change et plus nous souffrons.
Ainsi donc notre pratique consiste, en quelque sorte, à apprendre à percevoir réellement le changement. Pas simplement de savoir que les choses changent. C’est quand nous voyons la nature changeante directement, dans notre expérience, que s’effectue la vraie transformation de nos esprits et l’approfondissement de la sagesse. C’est ce qui constitue, en grande partie, la pratique de la méditation.
Vous savez, au début, lorsque nous commençons, il s’agit juste de calmer l’esprit et d’une certaine façon de rassembler l’attention, de se poser, de devenir un peu paisible.
Mais Vipassana, la pratique de la présence attentive, débute réellement lorsque nous commençons à voir comment les choses apparaissent et disparaissent, d’un moment à l’autre.
Et nous pouvons voir cela à plusieurs niveaux. Il y a quelque chose que j’appelle « NPM’s » qui est “ Noticings Per Minute”, remarques ou notes par minute.
Bon, nos NPMs sont tout d’abord assez basses. Nous avons peut-‐être 5 NPM’s ou 10 NPMs ; nous pouvons remarquer 5 ou 10 choses différentes par minute. Mais tandis que notre pratique s’approfondit , que notre conscience se renforce et que nous nous occupons des choses avec soin, les NPM’s augmentent et l’on peut commencer à distinguer les objets apparaissant et disparaissant, si rapidement, et l’on voit réellement la momentanéité de chaque phénomène.
Il en va de même pour quelque chose d’aussi simple que d’entendre un son (le son du gong). Abordez une personne dans la rue : « Qu’avez-‐vous entendu ? » -‐ « Oh c’est juste le son d’une cloche ». Mais, pour un méditant, tant de vibrations différentes, de nuances ? Des centaines, des
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milliers de choses se passent. Et cela, si nous sommes attentifs, si nous portons réellement toute notre attention, nous pouvons l’entendre, nous le savons.
La même chose se passe avec la respiration. Nous pouvons penser que la respiration « Oh inspirer, expirer », deux choses, deux « notes ». Dans une inspiration, combien y a-‐t-‐il de sensations différentes ? Dans une expiration ? Voyez-‐vous ce que je veux dire ? Dans une expiration. Ou dans un pas, un pas n’est pas juste une chose. Beaucoup, beaucoup de choses se passent.
C’est ainsi que, en portant notre attention avec soin, nos esprits commencent à s’ouvrir à la rapidité du changement, des phénomènes et notre sens de nous –mêmes devient bien moins solide, moins fixe. N’ est-‐ce pas ?
La plupart d’entre nous avons une idée assez fixe, un concept, de qui nous sommes. C’est comme…il y a cette histoire de quelqu’un qui se lève le matin et se regarde dans le miroir : « Ouais, c’est moi ! » Parce que nous reconnaissons l’image et « Oui, c’est moi, ça c’est qui je suis » ! Mais lorsque nous observons le processus, esprit, corps, particulièrement en méditation quand nos esprits sont très concentrés, mais aussi le long de la journée. Quand nous observons avec soin, nous voyons tant de sensations, de pensées, d’émotions, de sons et de visions apparaître et disparaître constamment! Il se passe tant de choses ! Alors cette illusion de solidité commence à se briser un petit peu.
Et ceci conduit au troisième aspect des enseignements. Il vient de notre perception du changement de plus en plus fine.
Il ne s’agit pas d’y penser, mais de le percevoir. Percevoir réellement le changement à un niveau de plus en plus fin, devient la porte à la compréhension de ce qui est peut-‐être l’aspect le plus difficile des enseignements du bouddhisme : l’enseignement sur l’absence de soi. Lorsqu’il s’agit de l’impermanence, ce n’est pas très difficile à comprendre, même si on ne la voit pas clairement en tout temps. La vérité de la souffrance n’est pas si difficile à comprendre, nous en avons tous l’expérience. Mais les enseignements sur l’absence de soi, sur anatta, sont difficiles à comprendre, ils ne correspondent pas à notre vue commune de nous-‐mêmes ou du monde. Cela exige donc vraiment davantage d’investigation pour comprendre : « Ok, de quoi parle le Bouddha, lorsqu’il parle de comprendre l’absence de soi? » … Cela, comme vous le savez, pourrait faire l’objet de beaucoup, beaucoup de cours de Dharma. Alors, en quatre minutes…
Juste quelques mots sur ce sujet qui, de nouveau, ne seront peut-‐être que des graines pour une réflexion plus approfondie.
Tout d’abord, il est important de comprendre qu’il ne s’agit pas de nous débarrasser de quelque chose qui est là.
Ce que le Bouddha dit c’est que la notion de soi, depuis le début, est un concept, est une idée. Et ainsi, en comprenant l’absence de soi, nous nous libérons simplement de la prison de ce concept particulier.
Il y a un exemple que j’utilise depuis quarante ans… mais vous êtes une nouvelle audience !
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Je ne suis pas sûr de la terminologie, quelqu’un parmi vous devra m’aider. En anglais, il y a la constellation que nous appelons « the Big Dipper », je ne sais pas ce que c’est en français – réponse : « La Grande Ourse ». Ok, c’est ainsi que ça se traduit ? Bien,( je dirai « the Big Dipper »).
Alors voilà la question que je vous pose : Y a-‐t-‐il réellement une Grande Ourse dans le ciel ? – Il n’y a pas de Grande Ourse !
Ce qui se passe, c’est que nous regardons le ciel, nous voyons cette constellation très apparente, très facile à reconnaître, alors nous lui donnons un nom « Grande Ourse » et ce concept sépare ces étoiles de toutes les autres étoiles dans le ciel.
La notion du soi, le concept du soi, de Joseph, est comme « la Grande Ourse ».
Il y a un schéma, il y a « les éléments », tous les éléments de l’esprit et du corps. Vous savez, les éléments corporels, les pensées et les émotions – tous ces éléments sont comme les étoiles de la constellation. Être un certain schéma et ce schéma est consistant et nous pouvons le reconnaître. Oui, c’est Joseph, cela suit certaines lois. Mais il n’y a pas de « chose » en soi, tout comme il n’y a pas de Grande Ourse, il n’y a pas de Joseph, il n’y a pas de soi, à part le schéma qui est là.
Voici quelques questions de suivi : la prochaine fois que le ciel sera clair, sortez de nuit et voyez s’il est possible de ne pas voir la Grande Ourse. C’est vraiment difficile. Nous avons été tellement conditionnés à voir d’une certaine manière, c’est vraiment dur de ne pas la voir. Mais si nous pouvons relâcher,…attachement est un mot un peu trop fort pour la Grande Ourse, mais si nous pouvons juste relâcher un peu ce conditionnement sur la manière de voir la Grande Ourse, qu’arrive-‐ t-‐il ? Nous voyons alors le ciel entier, non séparé.
Nous parvenons à relâcher un peu le concept du soi, de Joseph, mais, nous continuons à l’utiliser, sur un plan relatif, nous agissons encore et nous établissons des rapports entre individus, comme des sois, les uns aux autres. Donc sur un plan relatif tout reste pareil. Mais si nous comprenons, sur un plan plus profond, que le soi, ou Joseph, est un concept tout comme La Grande Ourse est un concept, il y a alors bien plus de fluidité dans nos vies, nous ne sommes plus prisonniers de l’image de soi, du concept de soi, et il y a alors plus de créativité, plus d’aisance.
En utilisant simplement l’image de la Grande Ourse, nous comprenons qu’il n’y a en réalité pas de Grande Ourse, mais y a-‐t-‐il quoi que ce soit de changé dans le ciel ? Les étoiles ont-‐elles soudainement disparu ? – Non ! tout est parfaitement identique. Tout est comme ça l’a toujours été.
Simplement nous ne recouvrons pas ces étoiles-‐là d’un concept, mais rien ne change.
Il arrive parfois, lorsque les gens entendent ces enseignements sur l’absence de soi, qu’ils soient un peu effrayés ! »Oh pas de soi ! Vais-‐je juste disparaître, dans une volute de fumée ? »
Rien ne change. Tout est exactement comme ça l’a toujours été, excepté que nous le voyons et le comprenons plus clairement. Et dans cette clarté il y a moins d’attachement à la notion du soi, même si nous l’utilisons encore par convention, mais nous n’y sommes pas si attachés, et y étant moins
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attachés, il y a moins de saisie de tous les phénomènes changeants que nous appelons le soi. Et moins il y a d’attachement et de saisie, moins nous souffrons.
Et c’est ainsi que le bonheur est à disposition, s’il vous plaît, servez-‐vous.
Ok, je pense que ça va conclure tout cela.
Nous voulons juste commencer par la compréhension du karma qui signifie que les actions dans lesquelles nous nous engageons, par le corps, par la parole et par l’esprit, et particulièrement les motivations, qui influencent les actions, amènent des résultats, créant notre environnement mental. Elles créent ce monde intérieur que nous habitons. Dans quel genre de monde voulons-‐nous vivre ? Cela dépend entièrement de nous!
Nous commençons à apprécier comment le passage à une compréhension plus approfondie du dharma est au travers de la perception directe du changement ; que toute chose a la nature de changer. Tout ce qui apparaît va disparaître – Plus nous voyons cela, moins nous nous cramponnons. Moins nous nous cramponnons, plus nous commençons à voir avec clarté l’absence de soi de tout ce processus. Et cela constitue tout le chemin de l’éveil, du réveil des illusions, du réveil de l’ignorance. Et nous arrivons à ce que le Bouddha appelait le bonheur le plus élevé, qui est la paix. Nous commençons véritablement, de façon progressive, à l’ expérimenter de plus en plus dans nos vies.